Un gâteau pour Lamia

layer cake au chocolat de Lamia

Comment réagir face à la mort ? Comment combiner le deuil et le quotidien ? Se lever, s’habiller, s’alimenter, tout devient soudain si futile et vide de sens.

Je n’ai personnellement pas perdu de proche le 13 novembre dernier. Mais Marina, une de mes très bonnes amies, a perdu son amie de toujours, Lamia. Ce soir-là, lorsque j’ai appris ce qu’il se passait à Paris et surtout rue de Charonne, son quartier, c’est pour Marina que je me suis inquiétée. Je lui ai envoyé un texto auquel elle m’a immédiatement répondu « je vais bien mais je m’inquiète pour Lamia, son téléphone ne répond pas ». Je lui ai écrit qu’il s’agissait certainement d’un problème de batterie, et qu’en toutes probabilités Lamia allait bien. Mais lorsque le lendemain, Marina m’a appelé pour m’annoncer sa mort, j’ai été totalement désarçonnée. Pendant que mes lèvres répétaient des banalités « c’est horrible, pauvre Lamia, quelle horreur« , je pensais « aucune parole, aucun geste ne peut être à la hauteur de sa peine, je ne peux rien pour elle ».

lamia-gateau-chocolatgâteau au chocolat et pistache

Nous avons raccroché, et là, les quelques images que j’avais de Lamia, sont venues tourner dans ma tête : sa jolie silhouette toute longue toute fine, ses yeux si expressifs, son contact simple et direct. Et soudain, j’ai eu un haut-le-coeur en l’imaginant victime de Daesh : c’était absurde, insensé, ridicule. Je me suis sentie totalement impuissante face à la douleur que devait ressentir Marina, ses parents, ses frères. En guise de consolation, je ne pouvais proposer que mes paroles maladroites, mon désarroi, « mais comment peut-on faire une chose pareille ?!? ».

Puis je me suis dit que ce n’était pas à moi de dire si je pouvais aider ou pas. L’important c’était de montrer à mon amie que j’étais là, et tan pis si j’étais gauche. J’ai alors rappelé Marina, juste pour lui dire « Marina, j’ai envie de vomir en pensant à la mort de Lamia, je n’ose pas imaginer l’état dans lequel tu es ». C’était une consolation toute bancale et rabougrie, mais c’était déjà mieux que rien.

lamia-mondeguer

Les jours qui suivirent, je n’ai cessé de penser à ce que je pouvais faire. Et puis mercredi, les proches de Lamia ont été reconnaître son corps à l’institut médico-légal. Rien qu’à y penser, j’avais un trou dans le ventre. Je pensais à aussi à toutes les autres familles dans le même cas. Et comme je n’arrivais pas à faire autre chose, je me suis mise à cuisiner le gâteau qu’aurait aimé Lamia. Je savais que dans de nombreuses cultures, la cuisine est indissociable du deuil. Les enterrements sont souvent l’occasion de grands festins, de banquets. Je me souvenais de l’enterrement de ma grand-mère, où nous avons ainsi passé la journée à cuisiner, boire, manger, et se remémorer des souvenirs. C’était comme si cuisiner permettait de réinsuffler de la vie dans le vide, d’arrondir les angles, de reconnecter en sourdine avec la douceur de vivre.

gâteau pour faire le deuil

En confectionnant le gâteau de Lamia, j’ai découvert une nouvelle facette du deuil en cuisine : en cuisinant pour la personne décédée, on la rend présente d’une certaine manière. Qui sait ce qu’il se passe après la mort ? Moi, j’aime à penser qu’attirée par les bonnes odeurs, Lamia est venue me rendre visite et a ri de plaisir quand elle a vu le chocolat couler sur gâteau.

Le gâteau de Lamia est on pourrait dire un « nude layer cake« , un fondant au chocolat à étages, où on fait tout simplement couler la ganache chocolatée entre les couches de gâteau et par-dessus le tout : c’est moins fastidieux que de l’appliquer à la spatule, et plus gourmand aussi, avec cette jupe de ganache qui vient encercler le gâteau. Le tout est parsemé de quelques pistaches torréfiées.

A ceux qui veulent continuer la réflexion autour du 13 novembre, voici aussi quelques liens pertinents :
Lamia Mondeguer, un article de Libération
une vidéo qui explique comment aider ceux qui souffrent, et explique la différence en l’empathie et la sympathie (c’est Marina elle-même qui m’a donné le lien tant elle la trouvait vraie rapportée à son vécu)
Moi je n’irai pas qu’en terrasse, un article plein d’intelligence de Sarah Roubato, qui réfléchit et tente d’apporter des solutions concrètes aux attentats. Petit échantillon : « Les journalistes ont montré que les attentats ont éveillé des vocations de policiers chez beaucoup de jeunes. Tant mieux. Mais où sont les vocations d’éducateurs, d’enseignants, d’intervenants sociaux, de ceux qui empêchent de planter la graine djihadiste dans le terreau fertile qu’est la France ? »

Et enfin, voici la recette, à préparer et déguster en pensant à la belle, douce, pétillante & espiègle personne qu’était Lamia !

gateau-lamia-recette

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30 réponses à Un gâteau pour Lamia

  1. Marina dit :

    Bravo. Votre approche, vos propos sont très touchants. Quelle belle pensée, quel beau gâteau !

  2. Lucie dit :

    C’est une belle évocation de Lamia (oserais-je dire, sans la connaître), des mots posés qui font du bien à lire. Sa frimousse est magnifique et rayonnante sur les photos. Courage à toute sa famille et ses proches, et courage à toi pour surmonter le choc.
    Bises.

  3. Clem dit :

    C’est tellement difficile de savoir ce qu’il faut faire, mais le simple fait d’avoir envie de faire un gâteau, d’offrir autre chose que des mots parfois un peu bancals, d’avoir envie de communiquer avec la cuisine, ça va toujours droit dans le mille. Bon courage ! et merci pour ce super blog au fait, je suis toujours très impressionnée par tes recettes (dont je m’inspire souvent…)

  4. Ingrid dit :

    Quelle merveilleuse idée. Les petites choses douces du quotidien aident pendant le deuil, indubitablement. J’espère que Marina a mangé le gâteau. Merci aussi d’avoir fait un Lamia cake. On aime se souvenir des êtres perdus grâce à des recettes… Merci enfin d’associer l’image de Lamia à une autre jolie image. Les images du 13/11 sont dures, si dures et il faut les remplacer.

    • Mathilda dit :

      Merci Ingrid. Marina malheureusement ne peut avaler que des pommes depuis la mort de Lamia, mais elle veut confectionner le gâteau dans quelques mois, quand elle ira mieux.

  5. irisa dit :

    Depuis que je j’ai vu les noms et les visages des personnes mortes à Paris, je pense beaucoup à toutes ces familles dans le deuil, c’est un très émouvant hommage que tu fais ici
    toutes les bogueuses de cuisine devraient reprendre cette recette pour Lamia et pour les autres
    je vais essayer bien que n’étant pas spécialiste du chocolat

    • Mathilda dit :

      Merci Irisa pour ton petit mot, tu verras la recette est très simple, il faut juste se munir du moule adéquat, pour moi un petit moule à charnière de chez Hema !

  6. Michèle dit :

    Un article très touchant. Une pensée pour la douce Lamia.

  7. MERAD Naima/Talia dit :

    Bonjour, nous sommes de tout coeur avec vs, pendant les vacances de la Toussaint, nous avons fait la connaissance de Lamia, lors d’un stage pour enfant et ados avec l’agence IEVENT, J’ai eu un petit échange avc cette jeune et belle femme, elle respirait la sagesse, le bonheur, l’amour et le partage de ce qu’elle aimait, le contact a été trés facile et ouverte à tt, ma fille l’a tt de suite adorée, elle ne méritait pas cette barbarie ,ns sommes encore sous le choc, Talia a fait un dessin en sa mémoire, des gâteaux au chocolat , nous en ferons souvent en son hommage.
    Reposes en paix Lamia, sincères condoléances à ta famille

  8. Rosenoisettes dit :

    Ton article est vraiment très très touchant…
    Un beau témoignage d’amitié et sincérité.

    • Mathilda dit :

      Merci Rosenoisette, quand on ne sait pas quoi faire, l’écriture est un bon refuge. Je suis contente si ce billet a permis à certains d’avoir une pensée douce pour Lamia et ses proches !

  9. irisa dit :

    Bonjour Mathilda’ j’ai donc repris l’idée de ton gâteau sur mon blog pour rendre hommage demain aux victimes à travers Lamia
    je suis désolée de ne pas avoir pu mettre le lien direct de ton article , mon ordinateur me signale un truc malveillant et ne veut pas ouvrir la page, j’ai indiqué la page t’appartenant sur le site de Recettes de ( une idée du problème ? ) je t’écris donc depuis ma tablette
    Merci Mathilda

  10. Linda dit :

    Bonsoir Mathilda,
    C est très beau ce que tu as écrit, le gâteau semble excellent, il a été fait avec le cœur,
    C est terrible cette disparition de toutes ces personnes, je ne connaissais pas Lamia mais en voyant les photos des disparus je n ai retenu que son visage, étrange sensation…. Elle était superbe! Et était tres aimée, paix à son âme et courage à Marina et ses proches dans cette douloureuse épreuve.
    Amitiés,
    Linda.

  11. NathalieD dit :

    Merci Mathilda de nous avoir permis de prendre connaissance de la lettre ouverte de
    Sarah Roubiato, qui va un peu plus loin (beaucoup même) que l’idée simpliste que les djihadistes se sont attaqués seulement à notre mode de vie. Passionnant. Est-ce qu’elle publie régulièrement sur Mediapart ?

  12. NathalieD dit :

    Et merci pour l’hommage à Lamia (quel joli prénom) ????

  13. Antigone XXI dit :

    Un article et un geste très touchant. Je suis sûre que Lamia aurait adoré ton gâteau.
    Plein de pensées à Marina et aux proches de Lamia ?

  14. Merci beaucoup pour cet article sensible, juste et tendre.
    Cela faisait 2 semaines que ma marmaille et moi n’avions pas fait de gâteaux (nous en faisons tous les dimanches), du coup, aujourd’hui, c’était gâteau pour Lamia. C’était chaud, c’était doux, c’était bon. Merci !

    http://www.mariepoulette.com/faire-a-nouveau-des-gateaux-dimanche-29-novembre-2015/

  15. Maxime dit :

    Cet article me touche tout particulièrement et je dis merci et bravo à son auteur. Notre amitié à commencé autour de dîners lorsqu’elle habitait en coloc à Vincennes et je faisais toujours un gâteau pour le dessert. Elle en raffolait et son enthousiasme me réjouissait, et même, me flattait. Elle était comme ça Lamia, notre douce et bien-aimée Lamia: elle ne boudait pas son plaisir et l’exprimait fièrement, sa joie de vivre comme un étendard. Ainsi, quand j’ai lu cette phrase dans l’article: « Lamia est venue me rendre visite et a ri de plaisir quand elle a vu le chocolat couler sur gâteau. », j’en ai été ému aux larmes car, oui, cela lui ressemble beaucoup. Quand j’allais leur rendre visite, je savais comment lui faire plaisir. Nous avions une sorte de complicité culinaire, si bien qu’elle m’avait donné la recette du cake d’amour de Peau d’Ane comme « défi d’anniversaire » (ce sont ses mots). Je n’ai malheureusement jamais eu l’occasion de le faire pour elle. Mais il me semble que j’ai désormais le devoir de faire ce cake d’amour. D’amour pour Lamia.

  16. Lénaïc dit :

    J’ai cherché un moment à trouver quelque chose de « pertinent » à écrire. Et j’ai pas trouvé. Que peut-il y avoir de « pertinent » face à des situations comme celle-ci ?
    Je suis tellement triste. Que peut-il se passer dans la tête de certains êtres humains pour en arriver là ? C’est tellement misérable.
    Merci en tout cas pour cet article. Article qui m’a filé la nausée, c’est certain. Mais c’est tellement difficile de trouver les mots quand des proches sont touchés, j’admire la façon dont tu t’y es prise avec ton amie Marina.
    La vie continue, vaille que vaille.

    • Mathilda dit :

      Oui Lénaïc, on se sent comme tu le dis si bien tellement peu pertinent face à ces évènements. Moi tout ce que j’ai sû faire, c’est d’essayer de redonner un peu de goût à la vie, vaille que vaille :)

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